05/02/2016

L'empire des morts ou la république des vivants

Il faut se méfier des redresseurs de torts qui ne trouvent une morale qu'en eux-mêmes.
Prendre du recul, toujours et de tous côtés et se laisser ainsi un périmètre vital de convenance. Avec le traitement anxiogène de l'information par les media dominants (n'oublions pas internet, ce Grand-Tout-en-un), montant ses reportages comme on monte une série télé qui racole sec les épuisés de la semaine, le gavage est de mise, l'épanchement est permanent, et le rythme effréné enraye toute lucidité.  La dépression est un business. La recherche du bonheur en est un autre, mais au moins a-t-il l'avantage de ne pas empêcher l'arrivée du printemps. L'horreur est là, partout. Certes, nous le savons. Mais faut-il pour autant se mortifier quotidiennement comme une punition que l'on s'infligerait par une sorte de relent de chrétienté ? Il est d'autres formes de résistances que de s'imposer la vue de telles immondices. Et d'ailleurs, faut-il vraiment penser en termes de résistance ? Il y a toujours à apprendre du roseau. Si certains ne lâchent rien et chaque jour nous déversent les pires atrocités sans répit, toujours à mettre un peu mieux en scène le grand spectacle de l'infâme, nous pourrions bien à notre tour tenir le cap, vivre malgré tout, et même vivre pleinement ; regarder de l'autre côté ou "cracher du lilas à la gueule des orties", comme disait Allain Leprest. Encore que cracher... Je ne regarderai pas ce que l'on m'ordonne de voir. S'il est un monde qui rend malade, littéralement et dans tous les sens, il en est un autre qui guérit. Je ne me laisserai pas imposer une conduite, une humeur, une tumeur. Nous sommes déjà nombreux. Nous irons je ne sais où, mais sans eux. Et partout, nous emporterons notre petite politique intérieure.


"Avez-vous jamais vu, le matin, un lièvre sortir des sillons fraîchement ouverts par la charrue, courir quelques instants sur le givre argenté, puis s'arrêter dans le silence, s'asseoir sur ses pattes de derrière, dresser les oreilles, regarder l'horizon ? Il semble que son regard pacifie l'Univers. Le lièvre immobile qui, dans une trêve de sa perpétuelle inquiétude, contemple la campagne fumante. On ne saurait imaginer un plus sûr indice de paix profonde aux alentours. A ce moment-là, c'est un animal sacré qu'il faut adorer."   
D'Annunzio, Il Fuoco (Le feu), 1900

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