27/11/2014

Mutatis mutandis

Lorsque l'on regarde la montagne, c'est que l'on n'est pas dans la montagne.
Lorsque l'on est dans la montagne, on a beau lever la tête,
on ne voit pas le sommet,
alors on considère que l'on est au sommet.
Pour un peu qu'un jour, on ait à partir de la montagne, si l'on pense à se retourner,
on verra la montagne et le sommet.
Et si un jour on y retourne, si on lève la tête, on ne verra toujours pas le sommet.
Mais quelque chose aura changé.

26/11/2014

Taxinomie, Taxidermie, même combat !

Tenter de définir la poésie, c'est comme essayer d'attraper une mouche. C'est extrêmement agaçant. Le jour où l'on pense avoir réussi, on se retrouve avec un cadavre de mouche dans le creux de la main. Et ça, c'est vraiment dégueulasse. Tenter de définir la poésie c'est tout faire pour ne pas la saisir (vivante).

07/11/2014

Le monde comme il va

Ça va pas de soi les horaires
ça va pas de soi
ça va pas de soi les réveils avant l'aube
ça va pas de soi
ça va pas de soi dépêche-toi allez 
ça va pas de soi
ça va pas de soi les règles les lois
ça va pas de soi
ça va pas de soi tes larmes ravalées
ça va pas de soi         
          d'écrire tout cela

Ça va pas de soi les attentes prolongées
ça va pas de soi
ça va pas de soi des yeux en fuite
ça va pas de soi
                             charges, outrages
ça va pas de soi
ça va pas de soi corps contre corps
ça va pas de soi
ça va pas de soi la face contre terre
ça va pas de soi
ça va pas de soi tes yeux fermés
ça va pas de soi le monde comme il va 
sans arrêt indifférent de marbre et de plomb

03/11/2014

Parce que le silence ne s'écrit pas

« C'était des semaines qui tenaient on ne sait pas comment suspendues dans le vide, en attendant que quelque chose arrive qui calmerait le bruit et la colère qu'on voyait partout, qu'on entendait partout. Il y avait les journaux et la télévision. Des journalistes derrière chaque porte et des micros aussi menaçants que des drapeaux, des appareils photos, des hommes avec des calepins ; ils voulaient quoi, savoir quoi, eux qui en savaient plus que tout le monde, qui ont parlé et commenté ; ils ont fait des articles, soulevé des débats, lancé des polémiques et les journaux pullulaient d'idées et de mots d'ordre, de contestations, de consternation et de chiffres alors que les autres, nous autres, on n'avait que la suffocation pour parole, l'attente pour cri, les mains tremblantes pour décision. Qu'ils aillent se faire foutre, ceux qui ont voulu nous soutenir en ayant une belle place sur la photographie, et les autres, ceux qui ont eu des choses à dire, ils ont des choses à dire sur tout, depuis tout le temps et jusqu'à la fin des temps il y aura un connard assez savant pour expliquer pourquoi il est le seul à être aussi savant dans un monde en cendres, et il l'expliquera aux cadavres et aux pierres en pointant vers eux un doigt menaçant, en haussant les épaules devant l'ignorance des nuages, des lapins morts, des fleuves taris, il les méprisera et nous avons été méprisés  c'est comme ça que je l'ai ressenti. Les maris, les femmes, les enfants, toi, et toi, puis toi, et les mères et les pères, les collègues, les amis, tout ce monde-là a le droit de pleurer et les larmes ici on les donne, on ne les vend pas »
                            Laurent Mauvignier, Dans la foule, Editions de Minuit, 2006