03/11/2014

Parce que le silence ne s'écrit pas

« C'était des semaines qui tenaient on ne sait pas comment suspendues dans le vide, en attendant que quelque chose arrive qui calmerait le bruit et la colère qu'on voyait partout, qu'on entendait partout. Il y avait les journaux et la télévision. Des journalistes derrière chaque porte et des micros aussi menaçants que des drapeaux, des appareils photos, des hommes avec des calepins ; ils voulaient quoi, savoir quoi, eux qui en savaient plus que tout le monde, qui ont parlé et commenté ; ils ont fait des articles, soulevé des débats, lancé des polémiques et les journaux pullulaient d'idées et de mots d'ordre, de contestations, de consternation et de chiffres alors que les autres, nous autres, on n'avait que la suffocation pour parole, l'attente pour cri, les mains tremblantes pour décision. Qu'ils aillent se faire foutre, ceux qui ont voulu nous soutenir en ayant une belle place sur la photographie, et les autres, ceux qui ont eu des choses à dire, ils ont des choses à dire sur tout, depuis tout le temps et jusqu'à la fin des temps il y aura un connard assez savant pour expliquer pourquoi il est le seul à être aussi savant dans un monde en cendres, et il l'expliquera aux cadavres et aux pierres en pointant vers eux un doigt menaçant, en haussant les épaules devant l'ignorance des nuages, des lapins morts, des fleuves taris, il les méprisera et nous avons été méprisés  c'est comme ça que je l'ai ressenti. Les maris, les femmes, les enfants, toi, et toi, puis toi, et les mères et les pères, les collègues, les amis, tout ce monde-là a le droit de pleurer et les larmes ici on les donne, on ne les vend pas »
                            Laurent Mauvignier, Dans la foule, Editions de Minuit, 2006   

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